Les jeux de dés, de cartes et autres semblables, où le gain dépend principalement du hasard, ne sont pas seulement des divertissements dangereux, comme les danses, mais ils sont absolument et de leur nature mauvais et blâmables ; c’est pourquoi ils sont défendus par les lois civiles et ecclésiastiques. Mais quel grand mal y a-t-il ? Direz-vous. Je réponds que le gain n’est pas réglé par la raison, mais par le hasard, qui favorise souvent celui qui ne le mérite pas. Mais, répliquez-vous, nous en sommes aussi convenus. Je réponds que dès lors celui qui gagne ne fait point tort aux autres. Cependant, il ne s’ensuit pas que la convention soit raisonnable et le jeu aussi, parce que le gain, qui doit être le prix de l’habileté, devient celui du hasard, lequel ne dépend nullement de nous et ne mérite rien.
De plus, le jeu n’est fait que pour nous divertir ; et néanmoins ces jeux de hasard ne sont point de véritables divertissements, mais des occupations violentes. Car n’est-ce pas une violente occupation que d’avoir toujours l’esprit tendu par une application forcée, et agité par des inquiétudes et des vivacités continuelles ? Y a-t-il une attention plus triste, plus sombre et plus chagrine que celle des joueurs, qui se dépitent et s’emportent si l’on dit un mot, si l’on rit, si l’on tousse auprès d’eux ?
Enfin ces jeux ne réjouissent que ceux qui gagnent ; et cette joie n’est-elle pas coupable, puisqu’elle suppose la perte et le déplaisir du prochain ? En vérité, un tel plaisir est indigne, et voilà les trois raisons pour lesquelles l’on a défendu ces jeux. Saint Louis, étant sur mer, et sachant que le duc d’Anjou, son frère, jouait avec messire Gauthier de Nemours, se leva, quoique malade, alla en chancelant dans leur chambre, prit les tables, les dés et une partie de l’argent, et jeta tout dans la mer, en leur témoignant une vive indignation. La vertueuse et jeune Sara parlant à Dieu de son innocence, dans la belle prière qu’elle lui fit : « Vous le savez, Seigneur, dit-elle, je ne me suis jamais trouvé dans la société des joueurs. »